Le 28 février 2025, il y a un an déjà. Le leader du Parti Socialiste sans Frontière (Psf), Yaya Dillo Djerou Betchi a été tué dans une circonstance douloureuse. Le siège de son parti complètement rasé. Ses militants arrêtés, menottés et présentés comme des brigands à la presse, avant d’être déportés à la haute prison de Korotoro. Depuis ce temps, aucune lumière n’est faite sur sa mort, bien que le procureur de la République près le tribunal de grandes instances de N’Djaména, Oumar Mahamat Kedelaye a annoncé l’ouverture d’une enquête à ce sujet.
Sougour Ndangbété Jean Luc
Jour pour jour, il y a déjà un an, la scène politique tchadienne brille par l’absence d’un opposant, non des moindres, Yaya Dillo Djerou Betchi, président du Parti socialiste sans frontière (Psf). Pour qui connaissait l’homme, son radicalisme face au régime au pouvoir, n’est pas à démontrer. Sous ce régime dirigé d’abord, par son cousin feu Idriss Deby Itno, puis par son neveu, qui n’est autre que Mahamat Idriss Déby Itno, Yaya Dillo est mort à cause de son refus de cautionner un régime qu’il qualifiait, sans langue de bois, de dictatorial et sanguinaire. Sa disparition est un coup dur pour l’opposition radicale crédible, pour ainsi dire, avec qui il collaborait dans la quête d’une véritable démocratie et d’un nouveau Tchad, débarrassé de tout pouvoir dynastique, d’un Tchad de justice au sein duquel, ses filles et ses fils pourront se sentir chez eux. C’est au moment même où ce combat s’intensifiait que la vie sera retranchée à Yaya Dillo.
Mais comment ?
Il a été assassiné de la manière la plus cruelle, par une arme à feu. Un décès qui survient trois ans exactement, après une attaque similaire de son domicile, menée par les forces de sécurité. Elle s’est soldée par la mort de sa mère et d’un de ses fils. Oui, on se le rappelle ! C’est aussi un 28 février 2021. Yaya Dillo y avait échappé de justesse, ce jour. Mais il est resté égal à lui-même, dans la dénonciation des dérives du pouvoir et dans l’opposition radicale, un diadème interdit aux rejetons du BET. Voilà pourquoi sera éliminé trois ans plus tard. Les circonstances de sa mort restent confuses. Pourtant, au cours d’un point de presse, le 1er mars 2024 à son Bureau, le procureur de la République près le tribunal de grandes Instances de N’Djamena, Oumar Mahamat Kedelaye a annoncé, à la surprise générale, que Yaya Dillo a été tué lors d’un échange de tirs avec les forces de sécurité. « Cette attaque a occasionné des dizaines de blessés, des morts parmi lesquelles Yaya Dillo, président du Psf dont la mort est survenue le 28 février », a informé le procureur. Dans ses explications, il a fait comprendre qu’à l’origine de cette tragédie, étaient les enquêtes ouvertes, à la suite de l’agression du président de la Cour suprême, Samir Adam. Une investigation dont le but était de rechercher les auteurs, les coauteurs et les complices de cette agression. C’est ainsi que, le 27 février 2024, le Secrétaire général adjoint aux finances du Psf, Abakar Torabi, désigné comme étant l’un des principaux auteurs, a été interpellé par les forces de sécurité, aux environs de 19 heures. Selon le procureur, au moment où les forces de l’ordre voulaient le maitriser alors qu’il a opposé une résistance, l’homme aurait été blessé et aussitôt admis à l’hôpital. «Ayant appris la nouvelle de son arrestation, un groupe de personnes, à leur tête, le président du Psf, Yaya Dillo s’est rendu d’abord au Palais de la justice dans le but de récupérer la voiture de AbakarTourabi, étant une pièce à conviction… Ce même groupe a continué à l’hôpital où se trouvait AbakarTorabi pour l’arracher des mains des forces de l’ordre et de sécurité. Ayant perdu leur mission, le groupe, bien armé, attaque l’Agence nationale de sécurité d’Etat », indiquait Kedelaye. De certaines sources, Dillo aurait été cueilli comme un mal propre avant d’être exécuté, sous l’ordre du pouvoir. Pour d’autres, il a été tué à son siège, par une mission commanditée, parce qu’il leur opposait une résistance. D’autres encore ont parlé d’un plan, minitieusement orchestré par un groupe de hauts responsables militaires et politiques.
Insulte à la mémoire de Dillo ?
Plus malsain est que, sa famille biologique et toute la classe politique (pour parler des hommes politiques sérieux) étant encore sous le choc, les Conseillers nationaux de transition d’alors, ont dédiée une séance plénière à l’adoption d’une résolution spéciale, portant soutien à Mahamat Idriss Déby Itno, en son temps, président de transition, suite aux évènements des 27 et 28 février. Cette partition, jouée le 18 mars 2024 pendant que le recueillement en mémoire de Dillo se poursuivait, a traduit l’insensibilité du pouvoir et de ceux qu’il avait parachutés à l’Hémicycle. Rares étaient ces conseillers qui ont osé dire la vérité. On retiendra entre ceux-ci, le Conseiller Rakhis Ahmat Saleh. « Nous savons tous, dans quelle circonstance le massacre s’est passé… Si c’est l’autorité supérieure qui se permet d’abattre à tout bout portant et éliminer les citoyens pour quelques raisons que ce soit, alors qu’il y a une justice, il faudra vraiment qu’on vienne à la raison. Il faut un peu de regret sur ce qui s’est passé ; Il faudra reconnaître qu’on a mal joué », déplorait-il. Malheureusement, décrétés pour tout cautionner, les ex-parlementaires ont fini par valider la proposition comme toujours. Par pur sadisme ou représailles, le Conseiller Rakhis Ahmat Saleh se verra recalé de la course pour la présidentielle du 6 mai 2024, par le Président du Conseil constitutionnel, l’un des hommes à tout faire du régime.
Où en est-on avec les enquêtes ?
La mort de Yaya Dillo témoigne une fois de plus, du recul de la démocratie tchadienne. Une mort, survenue à la veille de la présidentielle. Malheureusement, elle n’a nullement pas ému l’organe en charge des élections qui a foncé, droit dans ses bottes, pour organiser le scrutin à la date prévue. Pour avoir dit non à l’injustice, à la corruption, à la confiscation du pouvoir, à la dynastie, bref, à la mauvaise gouvernance, Yaya Dillo a été la cible du pouvoir. Aussi triste que cela paraisse, au cours de la même année, le Secrétaire général du Psf, Gam Robert est enlevé, précisément le 20 septembre et détenu jusque-là, dans les secrets de ses geôliers, coupé de sa famille biologique et politique. Son enlèvement est intervenu, quelques jours seulement, après sa sortie médiatique, réclamant la justice pour Yaya Dillo et la libération de ses camarades, détenus, pendant ce temps, à Korotoro. Et, au moment même où des voix s’élèvent pour réclamer la libération du SG du Psf, Saleh Deby Itno, alias Salay Deby, devenu militant du Psf quelques jours avant la mort de Dillo, est décédé en Egypte où il est allé se faire soigner, après sa libération du bagne Korotoro. Une mort que le Psf qualifie d’assassinat, semblable à celui de son président.
Dans toutes ces successions de circonstances douloureuses, personne n’est informée de la suite des enquêtes annoncées par le Procureur. Que se passe-t-il exactement ? Cela rappelle de nombreux cas d’assassinats, des acteurs politiques et des autres élites intellectuelles dont les enquêtes engagées pour les élucider n’ont jamais abouti. Cette façon de faire décrédibilise, de plus en plus, la justice tchadienne qui se réclame indépendante. Un an après la disparition tragique de ce martyr de la démocratie, que la justice éclaire la situation au peuple Tchadien. Hommage à Yaya Dillo Djerou Béti !