Le tort partagé entre la justice et la sécurité
Depuis le début de l’année en cours, la ville de N’Djaména et les autres provinces du Tchad sont en proie à une vague sans précédent d’insécurité. Les cas les plus récurrents sont les braquages à tout bout de chemin. Malheureusement, il se trouve que les mêmes auteurs arrêtés et remis à la justice, sont libres et opèrent à nouveau. De l’autre côté, des agents de sécurité sont d’intelligence avec les malfaiteurs. A qui incombe donc la responsabilité ?
Christian Allahndiguissem
Il ne se passe pas un seul jour à N’Djaména ou dans le reste du Tchad, qu’on ne parle pas des cas d’agression ou de vol à mains armées. Et le Président de la République, Mahamat Idriss Déby Itno, l’a si bien reconnu dans son message lors de la célébration de l’Aid Al-Fitr, le 30 mars 2025. En effet, depuis quelques semaines, les Tchadiens, surtout les N’Djaménois, vivent dans une psychose sans précédent, à cause de multiples cas de braquages enregistrés et qui ont coûté la vie à de nombreux citoyens. On tue avant d’arracher les biens matériels. Cela se passe le plus souvent, en pleine journée. Ce qu’il faut le plus décrier, est la récidive dans cette affaire de braquage. Mais, pourquoi cela ?
La complicité avec les forces de l’ordre
Si les braquages et autres actes de crimes crapuleux, continuent leur bonhomme de chemin avec les mêmes auteurs, c’est que, d’une part, la responsabilité incombe à nos forces de l’ordre et de sécurité. Dans la plupart des cas, ceux-ci, censés assurer la protection des citoyens et de leurs biens, sont laxistes et impuissants devant certains cas de vol, d’agression, de conflits intercommunautaires, de viol et de bien d’autres actes crapuleux. A proximité des commissariats, des brigades ou des postes de Police ou de Gendarmerie, on dépossède les citoyens de leurs biens et leur ôte la vie, sans gêne. Le pire, certains agents en charge de la sécurité sont complices des braqueurs. Cette complicité accentuée par les forces de l’ordre et de sécurité, a toujours été décriée par les populations et par de nombreuses organisations de la société civile. Malheureusement, leurs voix ne sont pas toujours audibles. Pourtant, ce sont des réalités que vivent les Tchadiens au quotidien. La preuve qui pourrait servir de leçon est celle d’un agent de la police qui vient d’être radié du corps par sa hiérarchie. Faut-il le rappeler, par décret 0397 du 25 mars 2025, M. Mahamat Al-Amine Aboubakar est révoqué du corps, de la Police nationale, avec suspensions des droits à pension, pour « faute grave contre l’honneur, de nature à déconsidérer publiquement la profession ». Selon des sources, le désormais ex policier est radié pour son implication dans l’assassinat d’un jeune à Mardjandafak. Comme son cas, il en existe bien d’autres isolés. Ce qui engage donc la vigilance des autorités compétentes à veiller sincèrement, pour démanteler des réseaux de mafieux qui font partie des différents corps, sous la peau d’agneau. Ils sont nombreux et certains sont bien connus. Ce n’est pas impossible de les identifier, puisqu’il s’agit, non seulement d’atteinte à l’honneur de la profession, mais aussi de la vie « sacrée » des citoyens.
La justice ne fait pas son travail ?
D’autre part, la justice est pointée d’un doigt accusateur. En effet, à un certain degré, il faut reconnaître les efforts des forces de défenses et de sécurité qui, au prix de leur vie, parviennent à arrêter les braqueurs et autres bandits de grands chemins. Malheureusement, après leur remise à la justice, par miracle, ils sont libres de tout mouvement et reprennent, comme bon leur semble, leurs activités malsaines, Dieu seul sait ! A juste titre, le Directeur général de la Gendarmerie nationale, le général Saleh Touma a déploré ces attitudes de la justice, en date du 19 mars 2025, lors de la présentation des malfrats à la presse nationale. « Monsieur le Procureur, s’il vous plait, aidez-nous en faisant votre travail. Nous constatons qu’on arrête un malfrat qu’on vous remet pour répondre de ses actes. Mais le lendemain, il est arrêté de nouveau pour avoir assassiné quelqu’un. On se rend compte alors que c’est le même malfrat que nous avons remis. Ce n’est pas sérieux», a-t-il décrié, sans langue de bois. Il en est de même de la déclaration du Ministre en charge de la justice qui a déploré également certaines pratiques qui paralysent la justice tchadienne dont l’impunité. Lors de sa visite à la Maison d’Arrêt et de Correction de Klessoum, le magistrat Youssouf Tom, a soulevé, la pratique d’évasion orchestrée par certains responsables pénitentiaires qui, selon lui, trouvent des astuces pour convoyer les prisonniers à la Maison d’Arrêt et de les laisser s’enfuir. Aussi, a-t-il déploré le fait que certains détenus, condamnés à plusieurs années de prison, sont libérés en seulement quelques mois à la place des autres, contrairement aux décisions de justice. On en déduit que ces pratiques ouvrent, sans nul doute, la voie aux malfrats, bien que condamnés et n’ayant pas purgé leur peine, de se retrouver dehors et de reprendre les hostilités. Et c’est chose reconnue également par le président de la République dans son message répondant, aux vœux des Oulémas, le 30 mars 2025. « J’appelle les hommes et les femmes en charge de la justice à plus de sérénité et plus de rigueur dans l’application de la loi contre les auteurs de crimes et des infractions qui troublent la tranquillité des Tchadiens et compromettent leur sécurité. Nul ne doit être au-dessus de la loi», a-t-il clamé.
Au final, si on assiste à la récidive des braquages et autres crimes dans la cité capitale et dans tout le Tchad, les responsabilités se situent à divers niveaux, entre les autorités en charge de la sécurité et celles en charge de la justice. Et tout est question d’impunité, du laxisme, de copinage et de régionalisme orchestrés et encouragés au plus haut niveau, par le système de gouvernance en place. Tant qu’il n’y a pas du sérieux, des aveux faits par les autorités compétentes par rapport à l’insécurité, à la récidive des actes crapuleux, aux actes déviants et autres faux qui sévissent au niveau de la justice tchadienne, ne pourront rien changer et la tranquillité ainsi que la sécurité des Tchadiens ne sera pas pour demain.