Nomination sous la 5ème République, Le clientélisme au beau fixe

Depuis le début de la transition politique au Tchad en 2021, la situation socio-politique s’empire au jour le jour. Ce qui se passe sous la 5ème République dépasse l’entendement. Tout se fait sur fond de clientélisme. Le cas des récentes nominations dans les différents postes de responsabilités en dit long.

Christian Allahndiguissem

«Déby père était nettement mieux. En matière de nomination par exemple, il fait semblant d’inclure tout le monde, même si le quota selon les zones ou par couleurs politiques n’est pas significatif. Mais ce que nous vivons sous son fils défraie la chronique. La discrimination et l’exclusion ont pris le dessus, mais personne ne peut oser lever son petit doigt », disait sous anonymat, un cadre du parti au pouvoir, visiblement dépassé. C’est également le ressenti d’un haut cadre de l’Administration publique. «Même nous par qui les différents actes de nominations passent, sommes surpris de voir ce qui se passe. C’est n’importe quoi, mais nous sommes tenus au respect de secret professionnel donc, nous ne faisons qu’endosser », déplore –t-il.

Ils font bien évidemment allusion aux nominations, sur fond de commerce qui se font ces derniers jours. En ce sens, la 5ème République est la consécration explicite du clientélisme, désormais érigé en règle de gouvernance. Le père Déby mort, il est un secret de polichinelle que l’administration publique tchadienne et autres entités parapubliques, voire privées sont pourrie. Constat sans conteste de la pratique outrageuse du clientélisme, un phénomène à la peau dure. Une véritable gangrène. Un poison qui infeste désormais, les différentes nominations, les promotions, les recrutements, l’octroi d’emploi, voire de stages. Tout se fait au nom des parents.

Pour s’en rendre compte, il suffit simplement de lire les récentes nominations des agents des commandements dans les différentes circonscriptions administratives. Au terme des décrets 1275, 1276, 1277 et 1279 du 2 juillet 2025, des secrétaires généraux des provinces, des préfets, des secrétaires généraux des départements et des sous-préfets sont nommés dans les différentes circonscriptions administratives à travers les 23 provinces que compte le pays. Pour certains qui ont une lecture parcellaire, entre les lignes de ces décrets, il y a une amélioration, minime soit-elle dans les différentes nominations.

Controverse autour de l’acte

Ce qui fait dire à bon nombre de Tchadiens que pour une fois, le mérite et l’inclusion sont privilégiés dans de telles nominations.  « Cette fois-ci, il n’y a pas seulement les Mahamat. Les Mbai sont également nommés », ironise un cadre du Mps. Pourtant, d’autres déplorent toujours une discrimination et une exclusion de certaines communautés et corporations.

Pour le président national du parti RNDT-Le Réveil, le sénateur Pahimi Padacké Albert, en sa qualité de chef de file de l’opposition, ces nominations sont une manière d’écarter l’opposition de la gestion de la chose publique. Sur sa page Facebook, il a écrit ceci : « l’exclusion systématique des cadres de l’opposition lors des récentes nominations de préfets, sous-préfets et les secrétaires généraux constitue une violation flagrante de ce principe fondamental, de grade constitutionnel ». Pour lui, cette vague de nomination partisane est le meilleur moyen d’envenimer une situation déjà explosive dans les quatre coins du pays.      

Même si certains, surtout les militants et partisans ne sont pas d’accord de cette posture qu’ils qualifient d’impopulaire et de paradoxale, des observateurs avertis partagent la réclamation de Pahimi. Pour eux, par ces nominations, le Mps et ses alliés gouvernent seuls.  « Discrimination aveuglante envers lopposition démocratique dans les nominations administratives ! Les récentes nominations au sein de l’administration territoriale sont inacceptables et profondément injustes. Les cadres issus de l’opposition ont été systématiquement écartés du fait de leur engagement politique. Ainsi, le pouvoir devient un instrument partisan au service dun seul parti et dun groupe de lobby qui ne servent que leur intérêt et non celui de la nation », estime Izadine Ahmat Tidjani, président du parti Pdr.

Pour l’ancien secrétaire d’Etat à la santé, Dr Djidji Ali Sougoudji, « L’anarchie dans les nominations a atteint le fond de la gabegie, du clientélisme et même de la « promotion-canapé« . C’est au Tchad qu’on nomme des préfets ou des SG aussi analphabètes que ‘‘la bite en érection d’un âne’’ ».

Dans une interview accordée au groupe média Visionnaire, le président du Parti Alwhida, Dr Ahamat Djidda Mahamat Al-Bachir, enseignant permanent à l’Ena, a déploré lui également que ces nominations ne respectent pas les principes de l’équité, d’inclusion et d’orthodoxie administrative. Contrairement à certaines opinions, lui fustige plutôt que les Enarques et autres agents formés en la matière sont mis de côté, au profit des personnes triées par clientélisme et par accointance politique. Chose qui selon lui, alimentera davantage les conflits qui endeuillent les populations dans les différentes circonscriptions.

Déshabiller Paul pour habiller Jean

En tout état de cause, ces nominations sont simplement le reflet de la 5ème République et du régime Mps avec ses nouveaux dirigeants. C’est le règne de « tout pour moi » ; « il n’y a pas de pourquoi et de comment ». C’est dire que, sous le règne de Kaka en cette 5ème République, le mérite, l’excellence, la géopolitique n’ont plus droit de cité. Tout est question de calcul et de récompense. Le clientélisme, le régionalisme, la discrimination, la gabegie et les considérations éthiques et politiques prennent le dessus. Les nominations de ces agents de commandement en sont une parfaite illustration. C’est ce que certains appellent justement « déshabiller Paul pour habiller Pierre ».  Par ailleurs, dans ces nominations, le cas de la province du Logone occidental soulève l’exaspération et des inquiétudes. Cette province en proie à une crise sécuritaire due aux tueries survenues dans le département de la Dodjé vit dans un climat tendu entre les protagonistes (même si un accord a été signé). C’est à ce moment qu’on prend le soin de nommer des administrateurs, uniquement issus du grand Nord. Du Secrétaire général de la province aux sous-préfets, en passant par les préfets et les secrétaires généraux des départements. Ce qui suscite d’ores et déjà un dégoût chez les autochtones qui pensent à un plan bien mûri pour mieux les marquer au fer.  En rapprochant ces actes avec celui promouvant les différents directeurs généraux des hôpitaux provinciaux dont la liste est devenue virale, tout porte à croire que le régime Mps n’est pas prêt pour gouverner avec les autres. Et cette exclusion est arrivée au point où, même les autres partis qui ont pactisé avec lui pour des miettes, n’en trouvent pas au point que de supplier le Mps de penser à eux. Pourtant, le médiateur de la République, président national du parti Undr, Saleh Kebzabo a été ferme, demandant au président de gouverner juste avec ceux (les partis de la Tchad uni) qui l’ont porté au pouvoir. Mais c’est très mal connaitre le vrai visage du Mps et de la génération qui le pilote actuellement. Dans tout ça, ce sont ces Tchadiens en quête d’équité, de justice et d’inclusion qui sont sacrifiés.

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